5 novembre 2024

[ANALYSE] Castlevania sur NES

Initialement sorti au Japon le 26 septembre 1986 sur Famicom Disk System sous le titre Akumajō Dracula, il faudra attendre le 19 décembre 1988 pour que Castlevania arrive en Europe sur NES. L’histoire importe peu, le dos de la boîte comme la notice ne mentionne même pas l’identité du héros ! Tout juste sait-on que l’on va affronter moult créatures surnaturelles dans un château… Aussi, le silence de l’écran-titre laisse place à la sobriété du nom du jeu qui prend quasiment tout l’espace, avec tout de même un château lugubre à droite, duquel s’échappe une chauve-souris volant vers le joueur, sans oublier qu’une pellicule de vieux films cadre l’ensemble. On nous invite à appuyer sur le bouton start pour commencer ; une fois effectué voit-on alors un personnage s’avancer vers les grilles d’un château avec une brève musique d’introduction. C’est donc bien là que le jeu va se dérouler !

CoverLes vieux châteaux, ça fouette !

Puis on prend le contrôle du personnage le temps de se familiariser un peu avec les commandes : le bouton B sert à frapper avec un fouet et le bouton A à sauter. Simple et efficace. Tiens, exerçons-nous un peu sur des candélabres vu qu’il n’y a encore aucun ennemi à l’horizon et que la musique présente une ambiance douce malgré la noirceur de la nuit. Et hop, voilà que tombent des cœurs, des bourses d’argent, ou même un poignard ! Toujours personne aux alentours, on en profite pour essayer un peu de comprendre à quoi servent ces objets : les cœurs s’accumulent dans un compteur en haut de l’écran et les bourses augmentent le score. Et en s’entraînant à manipuler le personnage, on finit par lancer le poignard fraîchement récupéré avec la combinaison haut et B. C’est d’autant plus intéressant que cette première arme secondaire ne disparaît pas ! Ah, le compteur de cœurs a lui un peu baissé, ce sont donc les munitions restantes et non de l’énergie comme dans la grande majorité des jeux… Castlevania marque ainsi sa différence avant même que le joueur n’ait vraiment commencé à jouer en brisant une convention aussi établie dans les jeux vidéo.

Gate & gardenC’est trop calme pour durer…

Le héros s’engouffre enfin dans le château et c’est là que tout débute ; à peine arrivé est-on assailli par plusieurs zombies venant s’échouer sur les coups de notre fouet au rythme d’une musique de fond entraînante (Vampire Killer) qui deviendra vite l’un des éléments les plus appréciés de la série… Il y a donc un sacré comité d’accueil rien que pour le personnage ; peu importe, le joueur est résolu à en découdre malgré le nombre d’adversaires ! Ainsi l’action prédomine, pas le temps de rester admirer les décors qui sont de toutes façons sinistres : rideaux déchirés et tapisserie décrépie, on pourrait penser que les lieux sont à l’abandon vu l’état du château mais que nenni ! Il y a au contraire énormément de créatures surnaturelles issues de l’imaginaire populaire et liées à la peur – zombies, chauve-souris, félins noirs, monstres aquatiques vraisemblablement inspirés du film L’Etrange Créature du lac noir (1954) – qui ne cherchent qu’une seule chose : notre mort…

Level 01Qu’est-ce que j’disais !

Quelques escaliers de ci de là permettent de prendre un peu de hauteur mais le danger est partout et peut surgir de la gauche, de la droite, du haut ou du bas de l’écran ! Il faut être attentif car les erreurs coûtent cher et chaque coup reçu fait perdre beaucoup d’énergie ; il suffit généralement de quatre ou cinq blessures infligées pour mourir et devoir recommencer… Puis on arrive à une porte avant laquelle se trouve un dernier candélabre duquel tombe un crucifix ou chapelet annihilant tous les ennemis encore présents à l’écran dans un éblouissement salvateur. On constate que le joueur est ainsi plongé in medias res dans le système du jeu sans s’embarrasser des détails d’un scénario : d’un côté les commandes sont simples mais l’avancée ne sera pas facile d’autant plus que l’on est complètement seul face aux dangers – la victoire finale ne tiendra qu’à nous – et d’un autre le lieu de l’action rappelle bien vite tous ces décors de films d’horreur dans lesquels le public ne peut qu’assister impuissant à la barbarie des monstres comme Dracula ou la créature de Frankenstein… En d’autres termes, même si ce ne sera pas facile, pouvoir se frotter et vaincre un tel bestiaire fantastique est la grande force du jeu vidéo !

Ghosts'n Goblins NESArthur et Simon : même combat ?

Pourtant on ne pourra éviter de songer à un autre titre de l’époque sorti en arcade en 1985 au Japon avant d’être adapté sur foule de plates-formes domestiques : Makaimura, sorti chez nous sous l’appellation Ghosts’n Goblins ! En effet, il faut savoir que les éditeurs rivalisaient déjà d’imagination dans les années 80 et reprenaient sans vergogne les ingrédients à succès de la concurrence ; Konami et Capcom se sont ainsi inspirés mutuellement pour enrichir leurs licences respectives et le font encore aujourd’hui. Mais la comparaison s’arrête vite car si Ghosts’n Goblins et ses suites réinventent la très difficile quête d’un chevalier Arthur parcourant son pays envahi par des hordes de créatures démoniaques à la rescousse de sa bien-aimée enlevée par Satan lui-même, Castlevania quant à lui enferme ses héros successifs dans le château de Dracula jusqu’à la destruction de son propriétaire et l’effondrement de cette demeure diabolique…

A vrai dire, on comprend vite que le jeu rend hommage au cinéma d’horreur occidental des années 30 à 70, à savoir les films de Universal aux USA et surtout ceux de la Hammer au Royaume-Uni,  autrement plus explicites dans leur violence visuelle ! D’ailleurs, rien que le titre original du jeu Akumajō Dracula qui se traduit littéralement par « Le château [du] démon Dracula » rappelle ceux de films comme La Maison de Dracula (1945) ou encore Le Cauchemar de Dracula (1958). Ensuite, le générique de fin parodiant les noms de figures célèbres de ce genre cinématographique ne laisse plus aucun doute sur les inspirations de Konami qui reprenait déjà le style des affiches de films d’horreur sur la boîte du jeu ou encore la typographie sanglante des titres à l’écran de présentation (ce qui est très flagrant sur la version japonaise).

TitlesNon, non, ce n’est pas la dernière séance !

Ainsi, le réalisateur Terence Fisher devient Trans Fishers, le romancier Bram Stoker se transforme en Vram Stoker, le compositeur britannique James Bernard s’appelle James Banana, puis vient le tour des comédiens : Christopher Lee se change en Christopher Bee, Bela Lugosi est moins inspiré car il devient Belo Lugosi, Boris Karloff meurt de rire en Boris Karloffice, Lon Chaney et Lon Chaney Jr. sont Love Chaney et Love Chaney Jr., Barbara Shelley se métamorphose en Barber Sherry, Max Schreck en Mix Schrecks, Glenn Strange se mue en Green Stranger, André Morell en Andre Moral, John Carradine se réduit à Jone Candies et enfin Oliver Reed se révèle être Cafebar Read ! Sans bien sûr oublier que l’on apprend enfin le nom du héros, Simon Belmondo (plus tard francisé en Belmont), bien évidemment en lien avec l’acteur  français Jean-Paul Belmondo alors très populaire au Japon… Castlevania se veut donc un savant mélange de références occidentales populaires dont il suce l’image assez habilement…

Pour en revenir au jeu en lui-même, le Prince des Ténèbres sait s’entourer, et alors qu’on pense en avoir fini avec lui après avoir abattu une chauve-souris géante et récupéré un orbe rouge se déroule alors une carte des lieux indiquant notre prochain objectif ; le château est vaste et Dracula ne se laissera pas vaincre par le premier venu ! Aussi devra t-on parcourir un total de six niveaux avant de parvenir à nos fins : on commence par le hall d’entrée, on monte le corps de garde, on passe par les murs extérieurs, puis on fait une chute vertigineuse dans les catacombes et on remonte vers la surface, on fait un détour par les cachots, et enfin on retrouve l’air frais de la nuit pour traverser un pont en ruines de sorte à passer par l’infernale tour de l’horloge avant d’atteindre le donjon du maître des lieux.

Boss 01 & mapC’est grand ici, le Comte ne se refuse rien !

Mais chaque étape de ce parcours semé d’embûches et de pièges vicieux sera jalonné par l’affrontement d’un boss évoquant toujours davantage les vieux films d’horreur des studios Universal et surtout de la Hammer : à l’issue du deuxième niveau une statue de pierre se transforme en tête de Méduse géante, très probablement inspirée par le film La Gorgone (1964) avec l’actrice Barbara Shelley dans le rôle de la créature mythologique.

Boss 02Une beauté à rester de marbre !

Au bout du troisième niveau on retrouvera une paire de momies rappelant le mort-vivant incarné par Boris Karloff dans le film La Momie (1932) qui a connu quatre suites chez Universal avant d’être réadapté dans La Malédiction des Pharaons (1959) et ses trois volets ultérieurs chez la Hammer (sans oublier la série de long-métrages du réalisateur américain Stephen Sommers sortie entre 1999 et 2008 dont le premier épisode est un remake du classique de 1932).

Boss 03Pas bouger j’ai dit !

La fin du quatrième niveau laissera quant à elle apparaître la créature de Frankenstein affublée d’un très pénible nain bossu aux allures de singe sautillant (appelé Igor dans la notice). Encore plus connu que ses prédécesseurs, ce monstre créé par l’anglaise Mary Shelley dans son roman gothique Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818) a lui aussi fait l’objet de nombreuses adaptations au cinéma, notamment – pour ce qui nous intéresse ici à la sortie de Castlevania sur NES – dans le chef d’œuvre Frankenstein (1931) immortalisé par Boris Karloff et ses cinq suites chez Universal, puis dans sept films de la Hammer entre 1957 et 1974 avec Christopher Lee dans le rôle de la créature et Peter Cushing dans celui du docteur.

Boss 04Ce n’est pas celui qu’on doit frapper qui est le plus pénible des deux !

L’éprouvant cinquième niveau est gardé par la Mort elle-même sous sa classique apparence de faucheuse. Bien ancrée dans l’imaginaire collectif sous diverses formes, la référence cinématographique ira vraisemblablement à l’œuvre du réalisateur suédois Ingmar Bergman, Le Septième Sceau (1957), dans laquelle le personnage interprété par l’acteur Max Von Sydow joue aux échecs avec celui de la Mort sous les traits de Bengt Ekerot.

Boss 05C’est pas que j’m’ennuie mais j’vais quand même y aller !

Enfin, le jeu s’achève sur le combat face à Dracula lui-même, d’abord sous sa forme vampirique classique vêtu de sa cape rouge, puis sous son apparence ultime révélant le monstre qu’il est réellement, une sorte de fantôme géant et ailé au visage terrifiant. Le Prince des Ténèbres est évidemment la figure du Mal par excellence, initialement créé par l’écrivain irlandais Bram Stoker dans son roman Dracula (1897) avant d’être adapté de très nombreuses fois au cinéma à commencer par le film muet Nosferatu le vampire (1922) réalisé par l’allemand Friedrich Wilhelm Murnau, puis de manière officielle sous la bannière Universal avec Dracula (1931) avec Bela Lugosi dans le rôle principal et ses nombreuses  « suites » ou cross-overs avec d’autres acteurs, jusqu’aux studios de la Hammer et ses dix films sur le célèbre Comte incarné quasiment à chaque fois par Christopher Lee qui donne une nouvelle dimension au personnage.

Boss 06Souriez, vous êtes filmé !

En mélangeant des monstres aussi divers que populaires dans un seul jeu vidéo, Konami ne s’y est pas trompé ; Castlevania ne fait que reprendre – avec succès – une formule déjà éprouvée au cinéma par Universal. En effet, les productions de ce studio prolifique tenteront à plusieurs reprises de forcer la rencontre de ces grands méchants de l’horreur, Dracula et la créature de Frankenstein en premier lieu. Mais en donnant la possibilité au public de ne pas être simplement spectateur mais acteur ou plutôt joueur grâce au médium vidéoludique, l’éditeur japonais va plus loin encore que le livre ou le cinéma ; après avoir imaginé l’horreur dans des romans ou l’avoir vu porté à l’écran, on peut maintenant interagir directement avec ces monstres malgré la restriction technique du cadre du jeu. Castlevania peut ainsi se concevoir comme une incroyable révolution dans l’approche de personnages célèbres maintes fois réadaptés au goût du jour.

Ceci dit, sans un gameplay solide et efficace, la licence n’aurait sans doute pas eu un grand avenir. Ce premier épisode jette également les bases de la saga sur cet aspect ; pour voir le bout du jeu, le héros trouvera sur son chemin plusieurs armes secondaires forts utiles en complément de son fouet évolutif (d’abord en simple cuir, celui-ci pourra être amélioré en chaîne par deux fois, sa forme ultime allongeant sa force de frappe) ; déjà mentionné plus haut, la dague ou le poignard sera disponible dès le jardin avant même d’entrer dans le château, puis cette arme de jet pourra être remplacée par une hache lancée en cloche – ainsi fort efficace contre les ennemis volants ou en hauteur – ou encore la croix boomerang envoyée à l’horizontale avant de revenir à son propriétaire, la montre permettant d’arrêter le temps pendant quelques secondes et d’immobiliser les ennemis, et enfin la fiole d’eau bénite qui compense sa très faible portée par un pouvoir dévastateur et se révèle être l’arme la plus utile du jeu !

LandscapesSimon n’est pas au bout de ses peines !

Cependant, il faudra bien connaître les niveaux et les obstacles du château pour savoir quelle arme secondaire garder précieusement pour avancer jusqu’aux bosses et les défaire sans trop de peine (les doubleurs et tripleurs d’armes secondaires sont d’ailleurs des aides non négligeables). En effet, et c’est une autre caractéristique de la licence qui a accentué sa renommée et contribué à son prestige, la difficulté de Castlevania est bien réelle. Non pas que le jeu soit impossible à terminer – les niveaux sont d’ailleurs plutôt courts dans l’ensemble – mais n’atteint pas Dracula qui veut ! Bien que la difficulté des jeux vidéo de cette époque était monnaie courante (surtout en arcade), souvent pour compenser une  faible durée de vie au final, celle de Castlevania est heureusement progressive pour ne pas décourager d’emblée qui se risque dans les couloirs du château. Ainsi, le joueur moyen peut atteindre le niveau 3 et même le passer sans trop de problème. Mais c’est à partir du niveau 4 (les catacombes) que les choses se compliquent vraiment : les sauts comme les coups portés se doivent d’être précis sous peine d’une mort immédiate !

Et c’est là un des écueils principaux du jeu : le héros a la fâcheuse tendance de bondir en arrière à chaque fois qu’il est touché, ce qui est bien souvent fatal dès que l’on doit se battre contre un ou plusieurs ennemis et sauter d’une plate-forme à l’autre pour avancer… A ce titre, Castlevania prend les apparences d’un autre genre du jeu vidéo également réputé pour sa difficulté : le shoot’em up ! Comme dans les Gradius de Konami (tiens donc !) et autres R-Type d’Irem, un apprentissage par l’échec est nécessaire pour avancer pas à pas et finir par venir à bout du titre après analyse de la situation et acquisition de réflexes opportuns. Heureusement, le joueur dispose de quatre vies à la base pour franchir un niveau (ce nombre peut être augmenté grâce au score, ou en trouvant de très rares vies supplémentaires bien cachées), de quelques morceaux de viande régénérateurs dissimulés dans certains murs du château, et surtout de continues infinis pour réessayer autant de fois qu’il le souhaite. Castlevania fait ainsi parti des jeux de type « die and retry » très en vogue dans les années 80 et 90. D’ailleurs, le professeur Van Helsing souffle bien à son disciple le docteur Seward dans le chapitre 10 de Dracula :

L’échec nous sert de leçon, pas le succès !

Ainsi la victoire finale n’en est que plus éclatante, à vaincre sans péril on triomphe sans gloire comme le dit également l’expression. Et en exceptant quelques réels pics de difficulté dans lesquels la chance vient en renfort de l’apprentissage sinon du talent (le dernier couloir du niveau 5 avant d’atteindre la Mort est redoutable et ne compte plus les victimes à son actif), Castlevania premier du nom n’est pas non plus le monstre de jeu impossible à terminer contrairement à nombre de ses contemporains bien plus vicieux (Ghosts’n Goblins par exemple). Ceci dit, la rigidité du personnage (notamment incontrôlable en plein saut et à la merci de ses ennemis  sur un escalier) contribue fortement à la difficulté du jeu, mais étant sorti sur console 8 bits, on concèdera au jeu cet écueil causé par des limitations techniques avant tout.

CASTLEVA-20En effet, c’est bien moi qui ai fait tout l’boulot !

En conclusion, Castlevania sur NES est l’épisode fondateur de la licence éponyme qui – non content de seulement jeter les premières bases de la saga (gameplay, ambiance gothique, difficulté) – sera porté sur d’autres supports, adapté et même réinventé à plusieurs reprises (notamment sur Super Nintendo avec le génial Super Castlevania IV). En voulant rivaliser avec d’autres éditeurs comme Capcom, Konami réussit là à surprendre les joueurs grâce à un concept solide basé sur un univers et des créatures célèbres dans le monde entier grâce au cinéma. Et c’est ainsi que d’un simple titre à la fois parodiant et rendant hommage à tout un pan culturel occidental à jamais dans l’inconscient collectif est née l’une des licences du jeu vidéo les plus appréciées, redoutées et prolifiques à ce jour : Castlevania !

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