Adversaire séculaire de la famille Belmont, le Comte Dracula a fait ses premières dents bien avant Castlevania ! Et si le cinéma occidental lui a prêté l’image d’un prédateur comme d’un séducteur, c’est avant tout à la fin du XIXème siècle qu’il faut remonter pour connaître les véritables origines du monstre…
Publié en 1897 et écrit par l’Irlandais Bram Stoker, Dracula est l’œuvre littéraire qui a vu naître le célèbre personnage éponyme et popularisé le vampire, cette créature de la nuit suceuse de sang. On soulignera qu’il s’agit d’un roman épistolaire, c’est-à-dire qu’il est uniquement composé d’extraits des journaux intimes ou lettres des personnages, offrant ainsi le point de vue de ces derniers sur les évènements de l’histoire et non la possible objectivité d’un narrateur omniscient qui aurait de la hauteur et donc un certain recul sur ce qui arrive. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que la vision personnelle de Dracula ne sera jamais donnée, Bram Stoker ayant préféré laisser les autres personnages (humains) dévoiler la peur que le vampire leur inspire, et par là-même laisser le lecteur imaginer lui-même à quel type de monstre il a affaire.
Le roman s’ouvre sur le journal de Jonathan Harker, un clerc de notaire anglais en voyage d’affaires en Transylvanie qui doit conclure une transaction immobilière avec un noble, le Comte Dracula, lequel souhaite acquérir une propriété à Londres. Bien que mis en garde par les habitants du pays sur son futur hôte et effrayé par la présence hostile de loups sur sa route, Harker finit par rejoindre la demeure du Comte, un vieux château tombant en ruines, et par rencontrer son propriétaire qu’il voit comme un gentleman aussi hospitalier que bien éduqué. Mais le jeune homme se rend compte au bout de quelques jours que quelque chose ne tourne pas rond et qu’il est en fait prisonnier du château ! Puis, il réalise vite que son hôte possède des pouvoirs et des ambitions diaboliques, avant d’être séduit par trois belles femmes se révélant être des vampires. Dracula « sauve » Harker in extremis, clamant que ce dernier lui appartient. Craignant pour sa vie, le clerc de notaire essaiera de s’échapper du château en descendant de ses murs.
Pendant ce temps en Angleterre, Mina Murray, la fiancée de Jonathan, correspond avec son amie Lucy Westenra qui a reçu trois demandes en mariage de la part du Dr John Seward (un psychologue officiant à l’asile de Carfax), du noble Arthur Holmwood, et du Texan Quincey Morris. La jeune femme décide finalement d’accepter la proposition de l’aristocrate, tout en étant peinée de refuser celles de ses deux autres prétendants. Ensuite, Mina rend visite à Lucy dans la ville côtière de Whitby, où un navire russe s’est échoué, avec tout son équipage mystérieusement disparu et son capitaine mort. La cargaison du bateau se révèle être cinquante caisses de terre expédiées du château de Dracula. Peu après, Lucy est prise d’une crise de somnambulisme et Mina la retrouve errant dans le cimetière de la ville, jurant avoir vu une forme sombre aux yeux rouges se pencher au dessus de son amie. Cette dernière tombe malade et porte deux petites marques rouges à la gorge, que nul médecin ne saurait expliquer. C’est pourquoi le Dr Seward décide de quérir l’aide de son vieux mentor, le Professeur Van Helsing.
Souffrant de fièvre, Harker réapparaît dans la ville de Budapest et Mina part veiller à son chevet. Arrivé à Whitby, Van Helsing décide de remplir de gousses d’ail la chambre de Lucy après examen initial, méthode ne fonctionnant qu’un temps avant que la mère de la patiente – ignorant les vertus protectrices de la plante – ne décide d’enlever tous les spécimens à l’odeur forte. Seward et Van Helsing passeront les jours suivants à raviver Lucy en lui perfusant du sang à quatre reprises. Leurs efforts seront hélas vains car une nuit, alors que les hommes baissent leur garde, un loup s’infiltre dans la demeure des Westenra, tuant d’abord la mère de Lucy à sa simple vision avant de s’attaquer directement à la malade et l’achevant. Après la mort de Lucy, Van Helsing emmène Holmwood, Seward et Morris à la tombe de la jeune femme et les persuade de sa nature de « non-mort ». Il faudra attendre que les hommes voient de leurs propres yeux leur dulcinée chasser un enfant sans défense la nuit pour qu’ils se décident de la détruire. Ils acceptent de suivre le rituel de Van Helsing pour le salut de son âme, Holmwood lui plongeant un pieu en plein cœur avant que l’équipe ne coupe la tête de la revenante et n’emplisse sa bouche d’ail.
Désormais mariés, Mina et Jonathan reviennent en Angleterre et joignent leurs forces aux autres pour découvrir quelle diablerie a bien pu coûter la vie à Mina. Grâce à son analyse de divers documents personnels et correspondances, Van Helsing finit par comprendre que le responsable n’est autre que le Comte Dracula ; le groupe d’hommes finit par retrouver la trace du vampire et essaie d’empêcher celui-ci de nuire. Leurs efforts semblent payants, mais Renfield – l’un des troublants patients du Dr Seward – permet à Dracula d’entrer dans l’asile et de s’attaquer à Mina. Voyant les premiers symptômes apparaître chez la jeune femme, les hommes tentent d’en finir avec le vampire en contaminant ses caisses de terre d’eau bénite, mais cela ne n’est pas suffisant. S’ensuit alors une course contre la montre de Londres à la Transylvanie pour sauver Mina qui s’achèvera au château du Comte où Van Helsing réussit à tuer les trois femmes-vampires et à sceller les entrées à l’aide d’objets sacrés. Les autres finissent par rattraper la calèche de Dracula avant qu’il n’atteigne sa demeure, et réussissent à détruire le vampire en sommeil à l’aide de couteaux, mais ce dernier était bien gardé par ses sbires et Quincey Morris perdra la vie à l’issue de la bataille.
A la lecture du roman, on ne peut s’empêcher d’attendre la réapparition de Dracula. En effet, une fois le chapitre 4 achevé, il faudra d’abord patienter jusqu’au chapitre 18 avant que ne soit utilisé le mot « vampire » pour la première fois dans le livre, puis le chapitre 23 (sur les 27 que compte l’ouvrage) pour que le Comte ne réapparaisse directement devant les personnages ! Certes, il ne faut pas oublier bien sûr que le nom de la créature suceuse de sang n’était pas bien connu à la fin du XIXème siècle : son existence-même (ou sa superstition) faisait bien parti du folklore européen dès le XVIIIème siècle, mais son appellation littéraire remonte réellement à la nouvelle Le Vampire publiée en 1817 et signée de l’Anglais John William Polidori (sous une idée de Lord Byron) ; néanmoins, on ne peut qu’être surpris que l’incarnation du Mal qui donne tout de même son titre au roman soit finalement plutôt évanescent – malgré les indices de sa présence qui parsèment les chapitres jusqu’à la véritable (mise à) mort de Lucy, laissant le lecteur (de l’époque) comprendre bien tardivement ce qui s’est réellement passé pour que la situation en arrive à de telles extrémités, alors que la figure du vampire est connue de tous aujourd’hui et sous bien des formes.
Aussi, il faudra attendre les premières (très libres) adaptations sur grand écran du roman pour que ce monstre ne devienne vraiment sacré et emblématique – à la fois symbole de terreur, de mort comme du Mal, et personnage héritier d’Eros et de Thanatos (dieux de l’Amour et de la Mort) – gagnant au passage son statut de Prince des Ténèbres. Figure gothique par excellence, le Comte Dracula porte en lui les préoccupations de ses contemporains, et cristallise parfaitement les doutes, les peurs, et la partie sombre qui se terrent en chacun de nous et que nous passons notre temps à combattre ; c’est certainement là la raison de sa popularité jusqu’à aujourd’hui !