Plusieurs antagonistes de Castlevania sont inspirés de figures historiques, Gilles de Rais en fait indubitablement parti ! En effet, le personnage des épisodes sur Nintendo 64, serviteur vampirique du Comte Dracula, kidnappeur d’enfants, et avatar de son propre maître à l’issue des quêtes de Reinhardt Schneider et Carrie Fernandez, trouve son origine dans l’histoire de Gilles de Rais, homme dont la légende se confondra avec celle de l’ogre Barbe Bleue…
C’est en l’an 1404 que les historiens s’accordent généralement sur la naissance de Gilles de Montmorency-Laval au château de Champtocé-sur-Loire. Suite au décès de son père Guy de Laval en 1415, c’est son grand-père maternel Jean de Craon qui élèvera le jeune Gilles, lequel hérite du titre de Baron de Rais (ou Retz selon l’orthographe actuelle) au passage. L’aïeul est un homme au caractère violent et avide, auquel on prête facilement une grande influence sur le sombre avenir de son petit-fils. Jean de Craon tentera ainsi à plusieurs reprises de marier Gilles à de riches héritières dans l’unique but de capter leur fortune, une première fois en 1412 puis en 1417, mais ces projets matrimoniaux n’aboutiront pas. En 1420, Gilles ira jusqu’à enlever sa propre cousine Catherine de Thouars (acte commandité par Jean de Craon) pour l’épouser en cachette mais le mariage sera annulé et déclaré incestueux par l’Eglise. Les deux tourtereaux devront patienter le 24 avril 1422 pour que leur union soit régularisée et qu’un mariage en bonne et due forme soit célébré. Ceci dit, l’avidité de Gilles et de son grand-père ne s’arrêtera pas là car ils feront en sorte d’extorquer une grande partie de l’héritage de la famille de Thouars, à savoir les châteaux poitevins de Tiffauges et Pouzauges, sous la menace et le chantage.
Gilles de Montmorency-Laval obtiendra ainsi divers titres et de nouvelles terres par héritage direct ou par mariage mais également grâce à des alliances politiques et des victoires militaires, la Guerre de Cent Ans faisant alors rage en France. On notera au passage qu’à sa majorité en 1424, le jeune Baron de Rais est libre de régner sur sa fortune et écarte peu à peu son grand-père des affaires familiales. C’est en 1427 que sa carrière militaire décolle vraiment, son nom étant de plus en plus associé à ceux d’autres capitaines du roi Charles VII. Ainsi, en 1429, Gilles de Rais devient le compagnon d’armes de Jeanne d’Arc et l’un des artisans de la levée du siège d’Orléans par les Anglais. Ses victoires successives dans la campagne de la Loire l’amèneront à être nommé Maréchal de France, soit la plus haute distinction militaire française. En parallèle, sa fille Marie vient au monde en fin d’année. Alors au sommet de sa carrière, le train de vie de Gilles de Rais devient trop onéreux, aussi sa fortune est peu à peu dilapidée. Mais pour ce qui nous intéresse davantage ici, c’est la mort de son grand-père Jean de Craon en 1432 qui coïncide étrangement avec le début des crimes imputés à Gilles de Rais…
En effet, c’est pour tenter de préserver une partie de ses biens et de ses terres que le Maréchal de France se livrera au brigandage et au chantage avec une troupe d’une cinquantaine d’hommes. Il ira jusqu’à menacer de mort un prêtre en pleine messe dans l’église de Saint-Etienne-de-Mer-Morte en mai 1440… S’ensuit une enquête ecclésiastique sur les agissements de Gilles de Rais : le Baron sera accusé de félonie envers son suzerain le Duc de Bretagne et selon la rumeur publique de viols et de meurtres commis sur des centaines enfants ainsi que d’invocations et pactes démoniaques ! Arrêté à son château de Machecoul avec plusieurs de ses hommes de main puis emprisonné au château de Nantes le 15 septembre 1440, c’est son procès qui signera la chute de Gilles de Rais.
Les charges s’accumulent aussi vite que les témoignages des familles des victimes mais seuls dix plaignants seront entendus par les juges. Pris dans les engrenages de l’instruction judiciaire en lien étroit avec l’Eglise (et l’Inquisition), Gilles de Rais commence par nier ses accusations mais, pour échapper à la torture, il finira par confesser ses crimes commis avec le concours de ses hommes de main qui enlevaient des enfants et parfois même les assassinaient avant que leur maître ne s’adonne à ses pratiques sodomitiques ! La mise à mort de ses victimes variait selon le plaisir sadique du Baron : démembrement, écrasement, décapitation, égorgement… La vue du sang portait le Maréchal de Rais au plus haut degré de l’excitation sexuelle et celui-ci ne perdait pas une miette de leur agonie ! L’évocation démoniaque sera mise en avant par le clerc Francesco Prelati, un proche de Gilles de Rais, qui raconta que l’obsession du Baron pour l’argent le faisait demander à ses victimes le secret de fabrication de l’or, alchimie et Pierre Philosophale étant devenues ses marottes, mais l’accusé réfuta toujours ces allégations qui contribuèrent fortement à écrire la légende du maréchal sanguinaire.
Au final, le nombre exact de victimes de Gilles de Rais n’est pas clairement établi, variant de 140 pour le procès ecclésiastique à plus de 200 pour le procès civil ! Le verdict tombe le 25 octobre 1440 : le Baron est condamné à être pendu et à avoir son cadavre brûlé le jour suivant. Cependant, sa confession lui vaudra d’être réintégré au sein de l’Église, puis d’être enlevé du bûcher et enterré avec les honneurs dus à son rang. Si sa culpabilité réelle est partiellement remise en cause aujourd’hui par plusieurs historiens persuadés du poids de l’Inquisition dans ses aveux, Gilles de Rais deviendra au fil des siècles un personnage légendaire, auréolé de fantasmes. Il finira par devenir l’inspiration de Barbe Bleue, l’ogre du conte éponyme de Charles Perrault (1697), alors que sa vie s’éloigne bien vite de celle du personnage fictif, et aujourd’hui encore les deux noms se confondent, erreur notamment alimentée par l’appellation populaire du château de Machecoul, lieu où le Baron sanguinaire commit ses crimes et où il fût arrêté, en « château de Barbe Bleue ». En définitive, la frontière entre réalité et fiction reste ténue dès qu’il s’agit de crimes aussi barbares, et Gilles de Rais restera considéré comme le plus abject tueur en série français aussi bien en raison de l’âge de ses victimes que des sévices qu’il leur prodiguait…