Acte I, scène 5 : Lords of Shadow ou Lord of the Rings ?
Ce qui frappe quand on commence les premiers chapitres de Lords of Shadow c’est cet éloignement par rapport à l’ambiance de ces prédécesseurs : on n’est pas dans un château, les musiques sont différentes, les ennemis n’appartiennent pas au bestiaire habituel et pas de Dracula à l’horizon pour couronner le tout ! Alors le héros porte le nom de Belmont et il a bien un fouet hors-norme car évolutif appelé la « Croix de Combat » (ou « Combat Cross » en VO) et des armes secondaires (enfin seulement des dagues de lancer au début, auxquelles s’ajouteront au fur et à mesure de l’aventure des fées, des fioles d’eau bénite, et des cristaux magiques invoquant des démons surpuissants) mais c’est à peu près tout. Pourtant il y a bien Castlevania dans le titre du jeu !
A vrai dire, pendant les premières heures on a davantage l’impression de se retrouver dans de la fantasy à la J.R.R. Tolkien qu’autre chose, Gabriel ayant de faux-airs d’Aragorn, les environnements des premiers chapitres rappelant fortement la verdure de la Terre du Milieu et ses grottes peuplées d’araignées géantes, sans parler du reste du bestiaire composé de trolls, de wargs, et de gobelins qui semblent tout droit venus de l’œuvre majeure du conteur anglais (1954 – 1955) ou de la trilogie réalisée par Peter Jackson (2001 – 2003) !
Si cet univers semble détonner au début avec ce à quoi Castlevania nous avait habitué dans le passé, il reste finalement cohérent avec la situation de départ du jeu : même si le lieu de l’aventure n’est pas précisé, on se retrouve en pleine Europe médiévale (nous sommes en 1047 et la carte du jeu rappelle étrangement celle de la Transylvanie), la Confrérie de la Lumière à laquelle appartient Gabriel fait penser à des Croisés ou autre Templiers, et si on ajoute à ces éléments réalistes une bonne dose de fantastique dont sont issues les légendes, l’univers fantasy de Le Seigneur des anneaux (ou « Lord of the Rings » en VO) y a toute sa pertinence et son intérêt au bout du compte. Certes, il n’y a point de Dracula ou quelque autre lien gothique pour le moment mais encore une fois il s’agit d’un reboot pleinement assumé et annoncé comme tel, il ne vaut donc mieux pas chercher à tout prix exactement ce que l’on trouvait jusqu’alors, ou tout du moins d’entrée de jeu.
En fait, plus on avance dans le territoire du premier Seigneur de l’Ombre, plus on voit apparaître des Lycans – plus communément appelés loups-garous – on s’approche ainsi doucement des standards fantastiques et gothiques habituels pour la licence. C’est arrivé au bout du premier tiers de l’aventure et la rencontre avec Cornell le Seigneur des Lycans que les révélations de ce dernier sur la nature des Seigneurs de l’Ombre (prologue à un affrontement éprouvant) deviennent le premier point d’orgue de l’aventure et piquent l’intérêt des fans qui pouvaient un peu s’ennuyer jusqu’ici en termes de scénario. Et une fois le premier Seigneur de l’Ombre vaincu, Pan sous forme d’aigle géant (rappelant ceux portant Gandalf et les Hobbits) apparaît pour emmener Gabriel plus loin dans le pays !
Le deuxième tiers de la quête de Gabriel va rapprocher le joueur des éléments traditionnels de la série. En effet, le héros s’enfonce dans le territoire de Carmilla la Reine des Vampires, d’abord pour apercevoir son château sous la neige (quelle superbe image d’ailleurs !) avant de l’atteindre et d’y pénétrer pour en découdre avec ses résidents. C’est d’ailleurs là que des squelettes ensorcelés et surtout des vampires attendent le joueur, même si Gabriel a déjà eu l’occasion de se frotter aux suceurs de sang dans les niveaux précédents. L’exploration – hélas balisée – du château rappellera aux derniers sceptiques que l’on est bien dans un Castlevania, l’aspect gothique si cher aux fans ne pouvant qu’éclater au grand jour aux yeux de tous, notamment dans ce magnifique travelling où Gabriel passe du mur extérieur à la tour de l’horloge !
Néanmoins, d’autres allusions à l’œuvre de Tolkien peuvent être détectées dans cette partie du jeu ; pour commencer, l’apparition de nouveaux ennemis ressemblant à s’y méprendre à des Nazgûls (NDLR : des spectres vêtus de longs manteaux noirs et armés d’épées) jette encore le doute sur l’inspiration du jeu ; et le château de Carmilla ne pourrait-il pas se voir comme une autre forme de Barad-dûr (« la tour sombre »), autrement dit la demeure de Sauron et incarnation de celui-ci quand on ne le voit pas ?
Au passage, remarquez que l’on peut penser la même chose du château du Prince des Ténèbres dans tous les autres Castlevania (surtout quand on se réfère à la traduction de son titre original de la série : « le château démoniaque Dracula »), faisant de la sinistre bâtisse le cœur même du jeu, un personnage à part entière et le vrai danger avant même son propriétaire…
Enfin, la dernière partie de l’aventure change une nouvelle fois la donne : la Mort rôde ! Les environnements sont de ce fait désolés et sinistres rappelant les terres arides et montagneuses du Mordor, un territoire coupé du reste du monde et vidé de toute forme de vie, situé aux confins de la carte et dont les limites restent volontairement floues.
A ce moment là, il faut bien garder en tête que Gabriel a déjà vaincu deux Seigneurs de l’Ombre, il est à la fois plus fort physiquement et a gagné des pouvoirs sans lesquels il n’aurait jamais pu aller aussi loin, sa Croix de Combat a obtenu le titre de « Tueuse de Vampires » (ou « Vampire Killer »), il n’est plus seulement l’homme meurtri du début, il a déjà surmonté nombre d’épreuves avant d’arriver sur les terres du Nécromancien mais il n’est pas encore au bout de ses peines ni de ses surprises et ces derniers environnements annoncent le point de non-retour : la Mort l’attend au tournant s’il échoue ! Ainsi, telle l’éprouvante escalade de la montagne du Destin par Frodon et Sam Gamegie dans Le Seigneur des anneaux, Gabriel devra lui aussi compter sur toutes ses forces pour atteindre son but ultime et sauver les hommes.
De cette manière, on se rend compte que Gabriel s’enfonce toujours davantage dans l’horreur et le morbide ; plus il avance dans sa quête, plus il s’éloigne de l’humanité pour s’approcher des portes de la mort et des limites du possible ; c’est un véritable chemin de croix pour un homme seul qui n’a décidément plus rien à perdre, et la luminosité relative des premiers chapitres fait place à la nuit et à ses créatures démoniaques (la transition se faisant réellement dans le hall du château de Carmilla, funeste augure des difficiles combats à venir alors qu’on pensait justement avoir un peu de répit à ce moment là).
Le tour de force ici est de proposer au joueur tout au long du jeu des environnements à la fois variés et cohérents dans la progression de l’aventure jusqu’à la confrontation finale et son lieu hors du temps et loin de tout, une lutte entre le bien et le mal, entre l’homme de foi et d’amour qui a dû se salir les mains et renier à ce en quoi il croyait et l’incarnation des forces du mal. Et c’est bien cette lutte éternelle entre le bien et le mal que les membres de la famille Belmont face au Prince des Ténèbres Dracula représentent depuis le tout premier Castlevania, c’est l’essence même de la licence à vrai dire !
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