Après avoir brièvement présenté l’ouvrage Castlevania – Sancti Biblia aux éditions Oldies Rising, il me semblait important de faire un peu le point avec l’un de ses auteurs, Manuzawa ; aussi ai-je pensé qu’une petite interview s’imposait… En voici le résultat !
Bonjour Manuzawa, pourrais-tu te présenter rapidement en guise d’introduction s’il te plaît ?
Bonjour. Je suis donc le créateur d’Oldies Rising, un site web traitant du retrogaming et qui sévit sur la toile depuis maintenant sept ans. Côté professionnel, je travaille dans le domaine de l’informatique.
Avec ton collègue Tanuki, vous vous êtes embarqués dans une sacrée aventure avec l’édition de la Sancti Biblia ! Tu avais déjà publié un long dossier à propos de Castlevania sur Oldies Rising, pourquoi avoir décidé de le retravailler et de le coucher sur papier plutôt que de partir sur une autre licence ?
Le dossier que tu mentionnes avait déjà nécessité beaucoup de travail puisque le rédiger m’avait pris plus de six mois. Outre le fait de devoir jouer ou rejouer à tous les jeux mentionnés, il m’avait aussi fallu effectuer beaucoup de recherches sur les influences, par exemple. Du coup, l’idée a germé dans mon esprit de rentabiliser ce temps en faisant quelque chose d’un peu plus élaboré qu’un « simple » dossier publié sur Internet. Ayant une bonne base avec ce dossier déjà conséquent, nous avons donc décidé avec Tanuki de l’étoffer pour en faire un livre. La seconde raison, c’est qu’aucun ouvrage francophone n’avait à notre connaissance été fait sur le sujet, chose assez paradoxale au vu de la popularité du bébé de Konami. Par conséquent, le choix de la saga Castlevania s’imposait presque de lui-même, ne serait-ce que pour lui rendre un hommage qu’elle méritait depuis longtemps selon moi.
Pourquoi avoir entrepris de vous auto-éditer au lieu de faire appel à une maison d’édition classique ou spécialisée ? Ça aurait au moins permis de régler la question des droits…
A la base, le but était surtout de marquer le coup à l’occasion des cinq ans d’Oldies Rising, et d’offrir un joli objet à nos lecteurs. Par conséquent, il nous paraissait logique de tout faire nous mêmes de A à Z. Ensuite, il était important pour nous que le livre soit vendu à prix coûtant. Plusieurs sites nous ont contactés afin de s’occuper de la diffusion et de l’édition du livre après sa première impression, mais tous ces sites souhaitaient faire du bénéfice sur les ventes, ce qui peut paraître légitime mais qui était inconcevable pour nous étant donné que nous souhaitions uniquement partager notre passion sans considérations pécuniaires. Enfin, Oldies Rising a déjà été confronté à quelques comportements incorrects de la part d’autres acteurs de la toile, et notamment d’un ancien partenaire qui était justement une maison d’édition. Il paraissait par conséquent impensable de faire appel à eux.
Pour rebondir sur la question des droits, puisque tu en parles, nous souhaitions aussi avoir une totale liberté éditoriale. Acquérir les droits n’aurait pu se faire qu’en offrant un certain contrôle aux ayants-droit sur le contenu du livre, chose que l’on voit assez souvent dans le milieu du jeu vidéo et qui donne fréquemment naissance à des ouvrages au contenu édulcoré et générique. En ce qui nous concerne, nous voulions avoir les mains libres. Si j’ai trouvé Judgment médiocre, je veux être libre de le dire.
Votre livre s’est vendu comme des petits pains, sans faire beaucoup de publicité ; l’idée de faire les choses de manière plus « officielle » ne vous a vraiment pas traversé l’esprit par la suite ?
J’ai déjà répondu en partie à ta question dans ma précédente réponse. Pour préciser un peu les choses, sache que les prochains livres d’Oldies Rising dont le second est prévu pour la fin de l’année seront justement édités dans les règles de l’art. A cette fin, le site est depuis janvier dernier devenu une association loi 1901 tout ce qu’il y a de plus officiel, nous mettant ainsi en règle avec la fiscalité française dans la vente de nos futurs livres. De même, nous avons l’intention de faire une demande pour un ISBN (International Standard Book Number), et d’expédier un exemplaire à la Bibliothèque Nationale de France. Bref, les prochains ouvrages seront donc plus « officiels », et pourront par conséquent être vendus à plus grande échelle…
Comment expliques-tu qu’une licence aussi prestigieuse que Castlevania n’ait pas connu d’ouvrage en français (ni même en anglais à ma connaissance) avant le vôtre en 2012 ? S’agit-il d’un marché de niche d’après toi ?
Ça, c’est une interrogation légitime ! Castlevania est certainement l’une des séries de jeux vidéo les plus populaires, que ce soit en France ou au Japon. J’ai aussi été très surpris de cela, et c’est en partie pour combler ce manque que nous avons décidé de créer la Sancti Biblia. Mais je pense qu’il y a derrière des raisons qui nous échappent pour expliquer ce manque. Je vais prendre un exemple qui parlera à tout le monde : quel gamin aujourd’hui trentenaire n’a pas connu Olive et Tom ? Il s’agissait là d’un véritable phénomène de société en France. Et pourtant, si beaucoup de jeux dérivés de la saga sont sortis chez nos amis nippons, il aura fallu à ma connaissance attendre 2010 et un jeu moyen sur DS pour pouvoir incarner les héros de notre enfance ! Pourtant, dans les années 90, un jeu tiré de cette licence aurait fait un tabac en France, d’autant que les épisodes sur Super Famicom, et plus récemment sur Playstation 2 étaient réellement excellents. Bref, tout cela pour dire qu’il n’y a pas forcément de logique dans ce genre de choix, du moins pas une logique accessible au grand public.
Je me rends bien compte moi-même que le web francophone est plutôt pauvre en ce qui concerne Castlevania alors que d’autres licences du même âge comme The Legend of Zelda regorgent de sites spécialisés… En revanche, il existe plusieurs sites de référence et des blogs dédiés en anglais ! As-tu l’impression que passée une minorité de joueurs aguerris, Castlevania n’intéresse guère les gamers francophones ?
Difficile à dire, il serait intéressant de faire un sondage à ce niveau car il faudrait avoir une vue d’ensemble pour avoir des éléments de réponse concrets. Mais pour avoir un site web encyclopédique dédié à une saga en particulier, il faut rassembler trois facteurs importants. Le premier, c’est d’être fan de la saga et de la connaître parfaitement. Le second, c’est d’avoir les compétences techniques pour coder le site en question. Le troisième, c’est d’être prêt à passer beaucoup de temps pour l’alimenter et lui permettre de se développer. Le premier et le troisième doivent aussi s’appliquer aux gens dont tu t’entoures en constituant ton équipe. Concilier tous ces facteurs est difficile, je m’en suis aperçu avec Oldies Rising, et s’il manque ne serait-ce qu’un des facteurs en question, le site ne pourra jamais être créé, ou ne durera pas plus longtemps que le temps nécessaire pour que son créateur ne se lasse. Trouver des bénévoles à la fois passionnés et motivés s’avère très compliqué sur le Net, à fortiori sur le Net francophone. C’est à mon avis plus de ce côté là que se trouve la réponse à ce manque. Créer un site web est un véritable sacerdoce, et cela a plutôt tendance à empirer avec le temps au fur et à mesure de son développement…
En effet, ce n’est pas évident… Mais revenons-en à ton ouvrage ! Le tirage de la Sancti Biblia étant épuisé, penses-tu publier une mise à jour de ton dossier sur Oldies Rising au moins pour contenter les fans n’ayant pas pu se procurer la version papier ? A moins qu’une nouvelle réédition de l’ouvrage soit en projet ?
Rien de tout ceci n’est prévu, pour une raison simple : l’honnêteté envers nos lecteurs. Dès le départ, nous avions précisé qu’il n’y aurait en tout que cent cinquante exemplaires de la Biblia, et les gens ont acheté notre livre en se fiant à cette affirmation. Sortir une réédition équivaudrait à faire perdre de la rareté, et donc de la valeur, aux exemplaires déjà dans les foyers. Même chose pour une mise à jour du dossier sur le site. Personnellement, même si j’aime tenir l’objet dans mes mains, je me sentirais floué si on me vendait un livre dont le contenu se retrouverait gratuitement sur Internet quelques mois plus tard. Beaucoup de personnes ont fait le forcing pour que nous déclenchions une nouvelle réédition, ou que nous mettions à disposition un PDF. Certaines ont même proposé de payer celui-ci. Mais ce n’est pas une question d’argent. Je suis sincèrement navré pour les personnes n’ayant pas pu obtenir leur exemplaire, mais nous en resteront à ce tirage de cent cinquante unités.
Dans la Sancti Biblia, vous n’avez pas pu traiter la trilogie Lords of Shadow dans sa totalité étant donné que seul le premier opus était disponible à l’époque ; maintenant que tout est sorti, quel est ton avis à ce sujet ?
Je ne suis pas forcément le mieux placé pour en parler, sachant que je ne possède pas de 3DS (et n’ai donc pas joué à Mirror of Fate), et que je n’ai pas encore eu le temps de m’attaquer à Lords of Shadow 2. En revanche, j’ai été conquis par le premier épisode qui a su proposer une ambiance fantastique, et un gameplay reprenant le meilleur des beat’em all 3D tout en l’agrémentant de quelques nouveautés bienvenues. Et, bon sang, quelle fin ! Je n’ai pas souvenir d’avoir été aussi surpris par une cinématique de fin depuis ma naissance…
Pour dire tout de même un petit mot sur Lords of Shadow 2 dont je n’ai pas entendu le plus grand bien, j’avoue avoir été très déçu par l’édition collector. Amputer le contenu de la figurine du personnage principal, et produire un cercueil aussi éloigné de ce qui avait été annoncé, le tout sans avertir le public, dénote un flagrant manque de respect de la part de l’éditeur. Et ne parlons même pas de l’emballage de l’ensemble ressemblant plus à un carton de colis qu’à une véritable boite. Bref, carton rouge pour le coup, même si je suis un peu hors sujet.
Je partage ton avis concernant la déception de cette édition collector… Par ailleurs, le producteur David Cox pense que les épisodes en 2D sont révolus (alors que Mirror of Fate en est un !), tandis que Lords of Shadow 2 n’est hélas pas le chef d’œuvre attendu ; comment vois-tu (ou espères-tu) personnellement le futur de la licence ?
A mon avis, il faut faire son deuil des épisodes en 2D, du moins sur les consoles de salon. Tout simplement parce que ce n’est pas ce que le public d’aujourd’hui attend. Si nous devons avoir encore des épisodes « classiques », ce sera sur les machines portables. Mais avec le premier Lords of Shadow, MercurySteam a prouvé qu’il était possible de produire un excellent jeu tout en étant très éloigné de tous les précédents volets. En continuant sur cette voie, nous pouvons espérer voir s’écrire de belles pages de l’histoire de la saga dans le futur. Mais il faudra que le prochain développeur, puisque MercurySteam a annoncé que LoS2 serait son dernier Castlevania, apporte un soin particulier pour ne pas décevoir les fans. Car l’attente sera forcément grande, à fortiori après le décrié LoS2.
Au fait, quel est ton épisode préféré et pourquoi ?
Au risque de passer pour un original, j’ai beaucoup aimé Order of Ecclesia sur DS. Pour son gameplay, pour son histoire sujette à quelques jolis rebondissements, pour sa bande son enchanteresse (j’ai encore en tête la séquence introductive), et pour son aspect visuel. Les développeurs ont pris le parti de proposer un jeu en 2D, mais en utilisant la 3D intelligemment pour offrir une jolie profondeur de champ dans les décors. Je me sens également obligé de mentionner Legacy of Darkness. A vrai dire, j’ai été étonné, voire même abasourdi, en tombant sur une critique de la Biblia sur Internet, dans laquelle on m’a reproché d’avoir massacré les épisodes N64. Surpris, car j’ai beaucoup apprécié ces derniers malgré leurs problèmes de maniabilité, et que je n’avais pas le sentiment d’avoir été négatif dans leur évaluation au sein du livre. Tu pourras peut être me donner ton sentiment à ce sujet, toi qui as lu le livre et qui est plus neutre que Tanuki ou moi-même…
J’ai également lu cette critique et, pour avoir relu vos propos sur les épisodes Nintendo 64, je trouve au contraire que vous avez été plutôt cléments, sans être particulièrement positifs ou négatifs… Et sinon, quel type de joueur es-tu ? As-tu tendance à être également collectionneur (de Castlevania ou autre) ?
Joueur, je l’ai beaucoup été dans le passé. J’ai même réussi à bloquer le compteur de Final Fantasy VII à 99 heures. Mais devant m’occuper d’Oldies Rising, ce qui inclut le codage, la relecture des articles des rédacteurs, la réponse aux mails et bien d’autres choses, je joue par conséquent beaucoup moins par manque de temps. Pour l’aspect collectionneur, tout dépend de ce que l’on entend par là. Je ne suis pas possesseur d’une collection énorme comme on peut en voir sur Internet, mais disons que je n’achète que des jeux complets et en excellent état. D’une manière générale, j’ai tendance à glaner pas mal de jeux Super Nintendo/SFC et Saturn, puisqu’il s’agit là de consoles qui m’ont beaucoup marqué étant enfant. Mon but premier est d’ailleurs de racheter tous les jeux que j’ai vendus pour une bouchée de pain à l’époque, en les payant bien évidemment dix fois plus cher aujourd’hui… J’avais aussi dans l’idée de me constituer un full set Street Fighter car je suis un grand fan, mais la tâche est colossale et je ne sais pas si j’y parviendrai un jour. Enfin, je ne suis pas insensible aux belles éditions collector. C’est pour cela que je ne digère que moyennement la blague LoS2…
C’est d’autant plus compréhensible… Pour finir, quels sont vos futurs projets éditoriaux à Tanuki et à toi pour Oldies Rising ? La Sancti Biblia a-t-elle été une bonne école ?
Le projet le plus avancé n’est autre que Flashback 90, qui devrait sortir d’ici la fin de l’année. Le but de ce livre sera de se placer dans l’année 1990, et d’en retracer tous les événements importants dans le monde du jeu vidéo. Cela inclura les sorties de consoles, de jeux, que ce soit en import ou en Europe, mais aussi des articles sur tout l’univers geek au sens large traitant par exemple des dessins animés, films, mangas et séries TV de cette même année. Par la suite, nous avons l’intention de développer cette série Flashback afin de traiter d’autres années importantes. A côté de cela, et sous couvert de notre statut d’association, nous allons également éditer des ouvrages tiers réalisés par d’autres équipes et dont les projets nous intéressent. Nous avons d’ailleurs déjà scellé un partenariat pour deux livres dans cette optique. Enfin, d’autres livres estampillés Oldies Rising sont en projet, mais pour l’instant trop peu avancés pour que je puisse en parler.
Pour la seconde partie de la question, il est certain que l’expérience accumulée avec la Sancti Biblia aura été très bénéfique et nous permettra d’éviter de commettre certaines erreurs. En outre, Tanuki qui s’occupe de la mise en page est désormais bien plus rôdé dans ce domaine.
Merci beaucoup à toi d’avoir accepté et pris le temps de répondre à mes questions ; je te souhaite une bonne continuation !
C’est moi qui te remercie, je suis toujours heureux de parler de notre passion commune. Je te souhaite bon courage pour la suite de ton site sur Castlevania, en espérant qu’il comblera à terme le manque dont tu parlais sur l’Internet francophone…
C’est tout le mal que je me/lui souhaite !