Sorti au Japon en juillet 1991 et un mois plus tard aux USA, il faudra attendre novembre 1992 pour voir débarquer Dracula Densetsu II ou plutôt Belmont’s Revenge en Europe sur la première console portable de Nintendo. Suite de The Adventure comme Simon’s Quest l’est pour Castlevania sur NES, cet épisode reprend le personnage de Christopher Belmont et nous conte ce qui s’est passé après sa victoire contre Dracula en 1576 où l’on assistait impuissant à l’évasion d’une chauve-souris des ruines du château à l’issue du jeu…
Simon Christopher est de retour !
Comme son prédécesseur, Belmont’s Revenge ne s’embarrasse pas d’une introduction clinquante ; en laissant tourner la démo à l’écran-titre peut-on voir défiler un texte en guise de mise en situation : affaibli depuis sa défaite et la destruction de sa demeure, le Prince des Ténèbres attend l’opportunité de retrouver ses forces et de prendre sa revanche, et c’est en 1591 que le moment propice viendra ; en effet, c’est cette année que Soleiyu, le fils de Christopher, est en âge de devenir à son tour chasseur de vampires et de reprendre le fouet flambeau de son père, aussi Dracula profite de l’inexpérience du jeune Belmont pour s’emparer de ses pouvoirs. Ainsi, alors que la cérémonie devant faire de Soleiyu le nouveau Belmont en puissance n’a pas encore été célébrée, celui-ci est introuvable et apparaissent dans le pays quatre châteaux mystérieux. Christopher n’a d’autre choix que de s’armer de son Mystic Whip et d’aller enquêter ; en pressant le bouton start se fait entendre une petite musique lugubre plongeant immédiatement le joueur dans l’ambiance : il va falloir reprendre du service !
De gauche à droite : l’écran-titre de Dracula Densetsu II, celui de Belmont’s Revenge, et la version colorisée issue de Konami GB Collection volume 4
Première constatation : au lieu d’enchaîner les niveaux jusqu’à la confrontation finale de manière très classique et linéaire comme dans The Adventure, on se retrouve face à un choix dès le début de Belmont’s Revenge : Christopher peut en effet commencer ses investigations dans le château qu’il désire ! Empruntant cette mécanique à la prestigieuse série Mega Man de Capcom, cette liberté n’a finalement aucun impact probant dans le déroulement de l’aventure car les niveaux sont distincts les uns des autres et aucun item utile voire nécessaire à la progression (arme ou objet) ne se trouve dans un château en particulier. En d’autres termes, l’ordre des niveaux n’a aucune espèce d’importance ! Ainsi on pourra parcourir le jeu (presque) comme bon nous semble, l’architecture intérieure des châteaux proposant elle aussi à plusieurs reprises des chemins alternatifs pour atteindre le gardien des lieux. Sorte d’héritage limité de Dracula’s Curse sur NES qui lui offrait de réelles routes différentes pour infiltrer Castlevania permettant au joueur d’élaborer une stratégie d’attaque tout en augmentant la replay value du titre, cette possibilité de gameplay sur Game Boy a tout de même le mérite de varier un peu les approches du joueur et de briser la monotonie (sinon la rigidité) instaurée par The Adventure auparavant, en accentuant un certaine indépendance des niveaux et en privilégiant de courtes sessions de jeu plus inhérentes à une console portable – l’instauration d’un système de mots de passe permettant de reprendre la partie entamée ultérieurement.
Quatre châteaux… ou bien cinq ?
En effet, Belmont’s Revenge étant une suite sur la même machine, la comparaison avec la première quête de Christopher est inévitable. Sorti en début de vie de la Game Boy alors que les développeurs ne maîtrisaient pas encore bien les capacités de la console, The Adventure témoigne de défauts de programmation alourdissant son gameplay et rendant ainsi la progression du joueur rapidement difficile en l’obligeant à apprendre par cœur le moyen de traverser les niveaux sans encombres. Belmont’s Revenge quant à lui s’émancipe de ces débuts balbutiants en offrant à Christopher une plus grande souplesse de mouvements mais pas uniquement. Rien que les graphismes et la bande sonore profitent d’un savoir-faire réellement digne de Konami : là où The Adventure se contentait de décors pauvres et de thèmes musicaux simples mais efficaces pour se concentrer sur l’action, sa suite élargit le spectre des possibilités techniques pour offrir aux quatre châteaux leur propre identité visuelle et auditive. Mieux même, alors que la première aventure de Christopher le faisait avancer jusqu’à Castlevania – c’est-à-dire en privilégiant une progression d’un monde extérieur (le cimetière et la forêt du niveau 1) vers un monde intérieur et clos (la demeure de Dracula du niveau 4) – Belmont’s Revenge enferme toujours son héros dans un château d’où l’espoir d’un ciel ouvert n’est qu’une illusion fugace ou une réalité lointaine.
Un château calme seulement en apparence…
L’intérieur est déjà plus dangereux !
En outre, chaque lieu à visiter semble posséder son propre bestiaire alors qu’en fait les créatures démoniaques se retrouvent d’un niveau à l’autre mais sont savamment distillés pour ne pas laisser l’impression de redondance. D’ailleurs les monstres sont partiellement le vestige de ceux de The Adventure : ainsi on retrouve par exemple les taupes sauteuses (bosses des cavernes du niveau 2 du premier opus sur Game Boy) en simples ennemis du château de pierre le temps de traverser quelques couloirs, ou encore les pénibles Punaguchis (ces monstres immobiles cracheurs de projectiles rebondissants) deviennent des sbires beaucoup plus simples à aborder. Au rayon des nouveautés on pourra découvrir entre autres des squelettes lanceurs d’os et grimpeurs de lianes, des méduses volantes (évoquant un peu des larves métroïdes – mais en bien moins dangereuses) ou encore Merman, ce lézard acrobate lanceur de poignards !
Un château pas très accueillant…
En fait, on remarque surtout que chaque type d’ennemi, qu’il soit déjà connu ou non, a bénéficié d’une attention particulière et possède ses propres mouvements et attaques le différenciant vraiment d’un autre. On pensera par exemple aux She-Worms, ces sortes de chenilles se mettant littéralement en boule lorsqu’on les frappe dans The Adventure, qui profitent de l’obscurité pour attaquer sournoisement Christopher dans le château de pierre de Belmont’s Revenge ! Quant aux bosses, s’ils ne sont pas inoubliables ni très redoutables pour la plupart, ils ont le mérite d’apporter du sang frais par rapport aux poncifs de la saga, bien que l’on puisse un peu s’interroger sur la réelle pertinence de certains d’entre eux dans une licence qui se veut gothique comme Castlevania. L’exemple le plus flagrant est Angel Mummy, le boss du château des nuages, qui aurait davantage sa place dans un Contra / Probotector du même éditeur…
De gauche à droite : Darkside (Crystal Castle), Iron Doll (Rock Castle), Kumulo & Nimbler (Plant Castle), Angel Mummy (Cloud Castle)
Ainsi, chaque niveau possède sa propre ambiance : le château du cristal et celui des plantes se déroulent inhabituellement de droite à gauche tandis que ceux des nuages et de la pierre se parcourent de manière classique. Pourtant, bien que globalement à défilement horizontal, on remarquera que chacun d’entre eux joue plus ou moins sur la verticalité donnant l’impression de prendre de la hauteur alors qu’en réalité Christopher descend davantage qu’il ne monte, s’enfonçant toujours plus dans les bas-fonds sinistres et mortels de ces lieux montés de toutes pièces par Dracula lui-même. En effet, et c’est probablement pour cette raison que l’ordre des châteaux n’a aucune importance, ceux-ci ne sont qu’illusions du Prince des Ténèbres pour que ressurgisse des ténèbres Castlevania !
Christopher vient faire un peu de jardinage !
La nature reprend ses droits ?
Et oui, Christopher ne peut jamais saisir l’orbe de pouvoir à l’issue de chaque niveau, celle-ci s’envolant inexorablement vers la surface une fois le boss vaincu et laissant au joueur le soin de choisir une nouvelle destination. Tout ceci n’est en réalité qu’une machination orchestrée par Dracula pour que le héros l’aide sans le savoir à récupérer l’ensemble de ses pouvoirs ! Aussi, quand la bâtisse des ténèbres réapparaît du fond des eaux noires après que Christopher ait détruit les quatre (faux) châteaux, il comprend en même temps que le joueur qu’il a été dupé et se dirige vers celle-ci pour une ultime confrontation. Mais c’est sans compter sur la fourberie du maître des lieux qui réserve encore une surprise au Belmont !
Christopher a la tête dans les nuages ?
Il faut savoir prendre de la hauteur !
En effet, avant de se mesurer à Dracula pour la seconde fois de sa vie, Christopher va devoir non seulement traverser une nouvelle mouture de Castlevania en deux grosses parties (l’entrée et la chapelle) mais au bout de sa route il se retrouvera nez à nez avec son propre fils manipulé par le Comte qu’il devra vaincre dans un duel éprouvant : l’affrontement de deux Belmont ne peut qu’être intense ! Puis, une fois le jeune chasseur de vampires défait, celui-ci retrouve ses esprits et supplie son père d’aller arrêter Dracula une bonne fois pour toutes. Le héros y consent volontiers mais le Prince des Ténèbres ne pouvant plus vampiriser les pouvoirs de Soleiyu décide de se servir de ceux des quatre châteaux. Un ultime combat ne laissant pas la place au doute s’engage alors : Dracula y est plus vif que jamais et ses coups font très mal, aussi le joueur doit bien analyser ses patterns pour savoir où et quand se déplacer de sorte à pouvoir frapper méthodiquement à la tête dès qu’il le peut mais sans trop perdre de temps car celui-ci est limité. Aussi il faudra bien plus d’un essai pour bien comprendre comment agir efficacement et assister à la fin du jeu où Belmont père et fils contemplent ensemble l’effondrement de Castlevania sans que Dracula n’en réchappe à nouveau.
En termes de difficulté, ces deux (voire les trois) derniers combats de bosses remontent à eux seul le niveau global du jeu. En effet, là où la linéarité de The Adventure pimente – certes parfois de manière drastique – la progression du joueur régulièrement, la (fausse) liberté de choisir l’ordre des châteaux empêche toute forme de paliers de difficulté d’être réellement instaurée ; c’est pourquoi les quatre châteaux sont relativement aussi durs (ou aisés) à traverser les uns que les autres, les derniers niveaux dans Castlevania étant finalement les seuls à essayer d’établir une courbe de challenges ascendante pour le joueur. Ceci dit, l’intérêt des quatre (faux) palais se trouve dans la variété des situations et des obstacles qu’ils offrent à franchir, et à ce titre on ne peut que saluer la volonté des développeurs de ne pas s’être contenté de simplement corriger les défauts de The Adventure pour en faire une suite sans réelle saveur. En fait, c’est bien au-delà d’optimiser une recette qui fonctionne que Konami a décidé d’aller avec Belmont’s Revenge.
Christopher apprend le respect à Soleiyu !
Côté gameplay, Christopher gagne en souplesse : il est déjà plus rapide qu’auparavant et peut notamment glisser le long des lianes en maintenant le bouton A et la croix directionnelle vers le bas, mouvement non seulement pratique car il permet de fluidifier ses déplacements et le rythme du jeu mais également salvateur car il s’avère indispensable pour franchir sans encombres plusieurs passages mortels. Ensuite, le héros a la chance de pouvoir s’équiper d’armes secondaires dans cet épisode, certes au nombre limité de deux, mais qui changent grandement la façon d’appréhender les niveaux et de vaincre les ennemis que le simple usage du Mystic Whip. Aussi, on pourra régulièrement trouver de l’eau bénite ou la croix-boomerang dans la version japonaise, cette dernière arme secondaire ayant été mystérieusement remplacée par la hache de jet dans les éditions occidentales. Ceci dit, la version colorisée du jeu sur Game Boy Color incluse dans la compilation Konami GB Collection Vol. 4 en Europe rétablit ce changement inexpliqué et offre une seconde jeunesse au titre en permettant au joueur aguerri de l’aborder d’une façon nouvelle.
Il est l’heure de solder le(s) com(p)te(s) !
Quant aux pouvoirs dégénératifs du Mystic Whip (pour rappel Christopher perd une amélioration de son fouet à chaque coup reçu dans The Adventure), ils sont beaucoup plus résistants aux blessures du héros dans Belmont’s Revenge qui devra subir bien plus de dégâts avant de perdre le bénéfice de la chaîne ou des boules de feu lancées aux ennemis. A vrai dire, non seulement toutes ces optimisations de gameplay améliorent grandement le confort de jeu mais elles atténuent du même coup la difficulté du titre en permettant au joueur d’évoluer de façon moins rigide et attendue (pour ne pas dire millimétrée) que dans The Adventure. Ceci dit, Belmont’s Revenge n’en est pas pour autant un jeu facile (comme dit plus haut les deux voire trois derniers bosses donnent particulièrement du fil à retordre) mais sa richesse et sa souplesse de gameplay lui apportent une fraîcheur, une accessibilité (également permise par le système de mots de passe, des checkpoints plus réguliers et des objets cachés un peu partout), et tout simplement un plaisir de jeu que l’on retrouve également (mais à un autre niveau – puissance de la console oblige) dans Super Castlevania IV sur Super Nintendo.
La Transylvanie peut dormir en paix pendant 100 ans…
En conclusion, Belmont’s Revenge est davantage que la simple suite de The Adventure. S’il en reprend le héros pour en raconter le reste de sa destinée face à Dracula et s’appuie sur ses mécanismes fondamentaux, il transcende son prédécesseur à tous les niveaux : bonds graphique et sonore (à ce sujet je retiendrai notamment Original Sin et Road of Enermy 2 personnellement), déroulement du jeu laissé au libre arbitre du joueur, variété des niveaux, gameplay optimisé, et difficulté plus accessible qui garde néanmoins des pics – marque de fabrique de la saga ; en d’autres termes, il s’agit là d’une réelle remise en question salvatrice de Konami qui réussit le pari d’adapter à la Game Boy la qualité de sa licence avec un réel succès, non pas pour en faire un opus limité par les capacités techniques de la console mais au contraire pour les sublimer et permettre à Belmont’s Revenge de se démarquer brillamment du jeu sur lequel il s’appuie en premier lieu – et même de rivaliser sans peine avec les épisodes sur console de salon 8 bits, amenant Christopher à un prestige au moins équivalent à ceux de son descendant Simon ou de son ancêtre Trevor, même si sa popularité n’atteindra jamais celle de ses semblables, sa première incursion vidéoludique ayant laissé trop de séquelles pour être oubliée sinon pardonnée des joueurs rancuniers. Pourtant, en y jouant on ne peut qu’admettre que Belmont’s Revenge réhabilite pleinement son héros et la légitimité de la licence sur console portable pour l’y installer durablement. Si ça ce n’est pas un superbe tour de force !