Connu sous le pseudo Tanuki sur le site Oldiesrising, Patrice Rucar a co-écrit avec son acolyte Emmanuel Babarit (dit Manuzawa) la première bible sur la licence, à savoir Castlevania – Sancti Biblia paru en 2012, avant de se lancer officiellement dans le monde de l’édition en fondant son propre label Côté Gamers en 2014, spécialisé dans les jeux vidéo , dont les deux premiers ouvrages sont liés à Castlevania : le Codex majeur et la version française du livre de Kurt Kalata, le HG-101 ! Aussi, poser quelques questions à ce fan de longue date semblait inévitable pour Castlevania Retrogaming…
Bonjour Patrice, et merci de bien vouloir m’accorder une interview ! Pourrais-tu nous expliquer comment tu es tombé dans Castlevania pour commencer et nous raconter un peu ton parcours de joueur ?
Bonjour ledenezvert. Tout le plaisir est pour moi étant donné que tu as lu mon livre et que c’est déjà un grand bonheur !
Comment suis-je tombé dans Castlevania ?
En fait, ça coïncide avec mon parcours jeu vidéo tout simplement. J’ai débuté dans le JV via l’arcade. Dans mon enfance on trouvait des bornes partout, dans les bars bien entendu mais aussi dans les restaurants, les centres commerciaux etc. Mes parents m’offraient des parties après l’école ou lors de certaines promenades en famille. J’ai donc développé un goût certain pour le média. Quand l’Atari 2600 est arrivée en France j’ai pu l’avoir, ceci a ouvert encore un peu plus la voix à ma passion. Il n’en fallait pas plus pour qu’un beau jour, voyant des publicités pour la NES, je décide de m’en faire offrir une. Castlevania arrive peu de temps après ça.
Avec l’arcade, j’avais remarqué un penchant pour les ambiances gothiques ou mystérieuses, à base de squelettes, de chauves-souris, de pièges à éviter. Un grand souvenir à ce sujet concerne le jeu Wardner No Mori, dans lequel certains passages m’avaient vraiment plu. En comparaison, Ghosts’n Goblins, formidable aussi dans son genre, était bien trop difficile pour être appréciés mais il possédait aussi le genre d’ambiances qui me marquaient vraiment. Un beau jour, en allant dans ma petite boutique de jouets de mon quartier, un endroit où j’achetais tous mes jeux vidéo pour NES, je suis tombé sur une boite attrayante, avec un bonhomme tenant un fouet devant un château qui semblait hanté. J’ai lu vite fait le pitch au verso et j’emportais le jeu chez moi.
Le choc ! Un choc identique à celui ressenti avec Zelda par exemple. La NES aura été spécialiste de ce genre de ressentis en son temps ! Comme tu peux t’en douter, j’ai eu des hauts et des bas avec ce titre, entre exaspération et admiration profonde. Pendant longtemps je n’ai progressé que jusqu’à Frankenstein, je m’en souviens parfaitement (bon, j’étais très jeune). Puis un jour, pendant les vacances d’été, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai joué, pendant de longues heures, jour après jour. Un beau matin, ou un soir va savoir, j’ai approché Dracula. Il n’en fallait pas plus pour que je parvienne à terminer le jeu un peu plus tard. Je résume la situation mais en gros, j’ai découvert le jeu par hasard, attiré par une boîte qui restait dans les lignes que j’appréciais au niveau de la thématique. Si le coup de foudre est venu immédiatement après avoir inséré la cartouche dans la console, la passion est venue petit à petit en essayant de maîtriser le soft. Après ça autant dire qu’à l’annonce d’un Simon’s Quest, une vraie œuvre aussi, j’étais fou !
En ce qui concerne mon parcours de joueur en dehors de l’arcade et de la NES, il est classique des retrogamers : achat d’une Mega Drive, d’une SNES, d’une Saturn, d’une PS1, d’une N64 puis quand l’argent du premier emploi est tombé, achat d’une Dreamcast et au fil du temps de tous les jeux et de toutes les machines qui me faisaient de l’œil, ça va d’une PC Engine à la PS3 (nope, pas encore de PS4) en passant par une Marty, les Game Boy, Game Gear, etc etc, vous connaissez la liste…
Je vois, tu es toi aussi un vieux de la vieille en somme ! Mais comment en es-tu arrivé à écrire sur Castlevania, surtout de manière aussi pointue ? S’agit-il de ton travail de recherches pour la Sancti Biblia ?
De mémoire je dois avoir touché mon premier jeu vers 6-7 ans, j’en ai 38 aujourd’hui. Concernant l’écriture sur Castlevania, il est en rapport avec la Sancti Biblia mais pas complètement. En fait, dans la SB, les parties concernant l’inspiration, les influences et les rapports à certains éléments, les phobies par exemple, sont de moi. Quand j’ai échafaudé le plan du contenu de la SB, j’ai immédiatement pensé faire un lexique comparatif des éléments constitutifs des jeux de la série. Pour le dire plus simplement, je voulais faire un lexique, sous la forme d’un tableau synthétique et qui nous aurait dit : dans Castlevania il y avait des chandeliers mais pas dans Simon’s Quest, etc. L’ouvrage étant déjà conséquent, j’ai abandonné en cours de route sinon nous aurions eu une bonne cinquantaine de pages en plus. Par rapport au confort de lecture (niveau épaisseur, ouverture etc) c’était déjà limite. Et puis avouons qu’un tableau c’est bien mais le travail de synthèse restait à la charge du lecteur.
Mais c’est une idée que je conservais en tête. J’ai toujours été passionné par l’histoire du JV et ça fait des années que je veux me lancer dans la production d’ouvrages sur le sujet mais par rapport aux obligations familiales et professionnelles, je n’étais jamais passé à l’acte. J’avais déjà conçu un livre sur l’histoire générale du jeu vidéo, quelques 700 pages, mais je n’en étais pas satisfait, il est donc resté dans mes dossiers. La Sancti Biblia m’aura permis de vraiment débuter et de constater que cette envie était partageable. Du coup, quand j’ai eu un peu de temps à moi, j’ai monté un nouveau projet de livre. C’était le Codex majeur. Cette fois je voulais faire en sorte que l’ouvrage ne soit pas seulement une synthèse de ce qu’on savait sur la série (la Sancti Biblia est une synthèse de choses plus ou moins connues. La partie sur les significations des titres japonais et leur adaptation dans les versions occidentales est nouvelle par exemple), mais une synthèse de ce qu’on pouvait savoir ! Grande nuance ! Ça voulait dire qu’il fallait poser noir sur blanc des faits issus de recherches nouvelles, d’analyses et de constatations. Attention, je ne prétends pas avoir mis au monde un ouvrage canonique ou qui serait THE livre sur Castlevania. Non, j’essaye simplement de dire qu’avec les Codex, je voulais que rien ne reste sans réponse et qu’on puisse jouer à Castlevania par exemple et se demander : « mais ça vient d’où l’idée du fouet », et trouver une réponse dans mes pages. Encore une fois, je ne détiens pas la vérité absolue mais certaines pistes sont tellement pertinentes que la vérité ne doit pas être loin. Le côté pointu vient de là tout simplement. Pour répondre aux questions, il fallait avoir une vision d’ensemble des jeux, c’est aussi la raison pour laquelle le Codex aborde la première trilogie (certains ne sont pas d’accord avec cette vision en triptyque mais elle me convient bien). Quand on joue en portant une attention particulière à chaque sprite, chaque élément de décor, chaque détail de gameplay, on se rend compte que Castlevania devait faire partie d’un tout et que le concept était très bien défini chez Konami lorsqu’il a été mis en œuvre.
Enfin, si mon premier livre en solo traite de Castlevania, c’est aussi parce qu’il faut avouer que la série, en particulier les épisodes abordés, est immensément riche et encore source de bien des mystères. L’auteur des volets originaux est introuvable, les adaptations sur d’autres supports sont surprenantes, les erreurs sont présentes de manière assez subtile et les adaptations pour l’Occident sont typiques des années 80, début 90 (traduction à la va vite, censure, inventions US…). Un vrai bonheur pour ceux qui sentent littéralement comme une odeur de nostalgie dans ces vieux titres et un vrai bonheur pour celui qui veut s’attaquer à une œuvre d’importance sur laquelle il y aurait vraiment des choses à dire.
En somme, le Codex majeur équivaut à TA propre version de la Sancti Biblia si je comprends bien… Mais pourquoi avoir opté pour l’idée d’un dictionnaire ? La lecture en continu s’en voit fortement impactée du coup, sans parler du manque de fil conducteur qu’on trouvait davantage dans la Sancti Biblia… En d’autres termes, pourquoi ne pas être allé jusqu’au bout d’une analyse intégrale, un peu comme ce que Jeremy Parish a essayé de faire dans The Anatomy of Castlevania (en gardant en tête qu’il s’est globalement restreint au level-design dans son ouvrage), quitte à y consacrer plusieurs volumes avec des problématiques différentes ?
En outre, si j’approuve totalement l’idée de traiter la trilogie Famicom / NES que l’on doit à la même équipe d’après ce que l’on sait (NDLR : Hitoshi Akamatsu en serait le chef de projet) car il s’agit d’un « tout cohérent », pourquoi ne pas avoir consacré un autre livre à décortiquer uniquement toutes les itérations et remakes de l’épisode fondateur (Super Castlevania IV inclus), tous issus de développeurs différents ?
Bonnes questions mais qui méritent un certain développement !
La réponse à la première question est fort simple ! J’ai essayé de faire une analyse globale en premier jet du Codex, mais j’ai rapidement abandonné. Je voulais vraiment aborder chaque élément constitutif du jeu dans l’ouvrage, mais le faire sous la forme d’un récit ou d’une analyse m’est apparu comme impossible. Pour donner un petit exemple de la difficulté de la tâche, il faut imaginer devoir aborder aussi bien l’inspiration (facile), que la reproduction d’une ambiance au travers de certains éléments (là aussi facile, en traitant des tortures, squelettes ou mises en avant de la lune), que le bestiaire et ses particularités (plus difficile, comment inclure chaque « espèce » dans le fil du texte sans que ce ne soit une énumération fastidieuse ?), que certains matériaux difficilement assimilables à un genre particulier (très difficile. Je pense notamment aux erreurs entre boites et représentations à l’écran, produits dérivés ou éléments graphiques).
Certes j’aurais pu tout organiser en chapitres. J’ai également essayé mais là aussi il est apparu que la solution n’était pas la bonne. Nous nous retrouvions avec des chapitres thématiques, concept sympathique, qui étaient soit très énumératifs, soit très nombreux, concept moins charmeur. Bref, il est sans doute possible de faire plus dans le style « récit » mais l’aspect dictionnaire s’est imposé comme la meilleure solution pour ce que je voulais faire et qui était une évidence depuis le début : une encyclopédie, ou un dictionnaire.
Il faut voir également que par rapport aux multiples épisodes, on se retrouvait avec une difficulté supplémentaire : celle de la liaison entre chacun. Oui, on pouvait parler de Castlevania et Simon’s Quest + Vampire Killer dans un même chapitre mais encore une fois, étant donné le nombre d’éléments à inclure, ça devenait un capharnaüm, bien plus rébarbatif que le résultat final sous forme d’abécédaire. Il fallait faire un choix, celui-là ou celui de l’abandon de bon nombre de références (les distinctions de couleurs entre sprites, les variations de tortures ou d’armes décoratives, etc.). J’ai pensé immédiatement qu’une exhaustivité, un peu lourde, valait mieux qu’une partialité légère. J’ai également consulté bon nombre d’ouvrages sans rapport avec le jeu vidéo mais abordant de manière pointue un sujet : Japon, peinture, Histoire, etc. Tous reprenaient la forme du Codex pour les raisons que je viens d’évoquer.
Pour ce qui est de la seconde question (pourquoi pas un second Codex sur les adaptations), là nous touchons un point essentiel de Côté Gamers. Comme tu le sais nous publions aussi un magazine et nous avons édité en français le livre sur Castlevania de Kurt Kalata. Regarde le nombre de pages de ces « engins », 350-360 pour l’un, 344 pour l’autre (l’original faisait 168 pages, de mémoire). Pourquoi un tel volume ? Tout simplement parce que nous aimons l’exhaustivité, ou du moins nous aimons pouvoir faire quelque chose d’assez complet. La politique chez CG c’est : si c’est intéressant, on le met. Du coup pour le Codex majeur, c’est pareil. Je trouvais que parler uniquement des épisodes fondateurs sans aborder leurs adaptations, c’était réducteur. Après tout, à mon sens, les dites adaptations représentent aussi Castlevania et une vision de son univers. Sans être fondateurs, ni canoniques, ils permettent de relativiser l’importance de certains éléments, ou de mettre le doigt sur des faits en rapport avec les épisodes qui sont, eux, canoniques. J’ai entendu parfois des remarques du genre : les versions occidentales on s’en fiche, ce sont les versions japonaises qui comptent. J’ai entendu aussi : les versions japonaises bof, nous on a joué avec les versions PAL / US, c’est celles-là qui nous intéressent ! Moi je dis : non, ce qui nous intéresse, c’est la série, pas la nostalgie qu’elle apporte au lecteur. Nos livres (et ça c’est bien précisé dans nos intentions d’éditeur) rendent d’abord hommage au jeu vidéo. Ensuite seulement ils s’intéressent aux lecteurs. Ce que je dis là peut choquer mais il faut le comprendre de la manière suivante : si votre passion c’est le jeu vidéo, alors vous aimez le jeu vidéo et donc vous voulez ce qui est le meilleur pour lui. Si vous voulez le meilleur pour vous, ce que vous aimez c’est utiliser le jeu vidéo comme loisir, c’est différent. Nous ne jouons pas dans cette catégorie (même si nous l’apprécions, les deux optiques sont très nécessaires !)
Du coup, faire un livre sur Castlevania qui aurait abordé uniquement les premiers Castlevania sans leurs adaptations, ça aurait été à l’encontre du désir d’exhaustivité et d’hommage (ici, de référence, disons) à la série. Alors oui, tu mentionnes la possibilité de faire de la partie adaptation, un nouveau Codex. Mais ça contredit une autre règle de chez Côté Gamers : celle qui impose de proposer le maximum à prix réduit. Si tu nous suis, tu sais que nos livres et nos magazines ne font pas dans le mainstream. Les sujets (ou la façon de les traiter quand le sujet est « commun ») font que nous nous adressons à une niche dans la niche des lecteurs orientés JV. C’est un ciblage très typé et il s’accompagne de la volonté de ne pas imposer de multiples achats pour avoir des ouvrages complets). Autrement dit : vendre 2 Codex, ou plusieurs livres si on peut limiter les dépenses, non. Le prix aurait diminué légèrement, mais pas assez pour proposer une vraie économie aux lecteurs.
Enfin, la thématique elle-même aurait intéressé bien moins de personnes. Proposer un Codex « versions Amiga, X68000, C64 », ce n’était pas réaliste. Autant le donner à tout le monde, ce qui a en plus deux effets positifs : inciter les gens à lire ces parties et permettre un recoupement facile des informations, plutôt que de devoir naviguer entre Codex vol.1 pour les illustrations et infos sur le corbeau version Castlevania, et Codex vol.2 pour le même corbeau version Amiga. Là, en un coup d’œil tu vois que l’un est noir et l’autre doré. Même si tu te fiches de l’Amiga, le fait de voir l’oiseau peut t’intriguer et te porter à lire ! Et puis, rappelons-le, le Codex n’est pas fait pour être lu d’une traite mais plutôt pour s’amuser à le feuilleter, comme on peut s’amuser à feuilleter un dictionnaire ou une encyclopédie.
Je termine ce roman, en précisant que si Super Castlevania IV n’est pas vraiment abordé (il ne l’est que sous quelques mentions rapides servant à justifier certains éléments des épisodes précédents) c’est parce qu’il s’agit plus d’un reboot, voire d’un remake, que d’une adaptation. La différence avec l’épisode X68000, qu’on pourrait assimiler à un remake aussi, c’est qu’il devait très vraisemblablement servir à débuter une nouvelle série de jeux sur SNES. Il devrait donc être logiquement abordé dans un ouvrage parlant de ces épisodes 16 bits.
Merci pour ces éclaircissements détaillés sur ton parti-pris encyclopédique et la ligne éditoriale de Côté Gamers ! Peux-tu maintenant m’expliquer ta méthode de travail pour aboutir à toutes les informations et théories recueillies dans le Codex majeur ? Combien de temps de recherches cela constitue t-il globalement ?
Difficile de donner un temps global. Il a fallu jouer une bonne cinquantaine de fois à chaque jeu. L’émulation et les save states ont bien aidé au bout d’un moment. J’ai divisé la progression en plusieurs save states, de cette manière je me rendais directement dans la section utile des jeux. Pourquoi cinquante fois ? Parce qu’entre la récupération des sprites et décors, l’analyse des éléments et surtout, le fait que pour chaque réponse on se pose une nouvelle question, il fallait faire des vérifications incessantes. Un exemple avec le fameux cœur vert présent dans un des décors de Castlevania. Il fallait voir si cet élément était réutilisé ailleurs et donc vérifier plusieurs fois chaque écran de jeu. Disons qu’à raison de 4 heures par jour sur peut-être quatre mois, c’était fait. Il reste à ajouter, en dehors de la partie purement en relation avec les jeux, tous les à-côtés : le visionnage des films, la lecture des ouvrages, la récupération des documents, les scans, la maquette et l’écriture.
La méthode de travail était simple. Je prenais un jeu, j’y jouais une première fois sur console ou ordi pour avoir une vraie idée fraiche de la difficulté et du rendu. Le but étant de terminer le jeu. Ce fût long comme tu t’en doutes. Pour les besoins de l’ouvrage, j’y rejouais ensuite sur émulateur une première fois en capturant à tout va chaque écran. Le but étant d’avoir sous la main tous les sprites, tous les décors, les animations détaillées etc. J’ai ensuite, et sur la base de notes prises en jouant, établi une première liste de mots à définir. Essentiellement des mots très concrets comme fouet, cœur, statue. En rejouant et rejouant encore, j’ai peaufiné la liste jusqu’à y inclure des notions abstraites comme inspiration, erreur etc.
À partir de là, j’ai commencé, sur la base d’autres notes concrètes, à définir les mots les plus simples. Quand ils étaient sujets à questionnement, j’ai cherché sur le net certaines réponses. Quand je dis réponses sur le net, je ne parle pas de sites web spécialisés dans Castlevania. La plupart de ces sites ne possèdent aucune réponse sur ce qui m’intéressait. Par exemple, je voyais les grands aigles et leurs nains dans le niveau de Frankenstein. Je me demandais d’où pouvait venir cette idée. Je cherchais donc d’abord sur le net si des aigles pouvaient transporter des hommes, des nains ou des enfants. À partir de certaines espèces, je vérifiais si elles étaient présentes au Japon et échafaudais une hypothèse sur leur présence dans le jeu. Pour ouvrir les perspectives, je cherchais aussi si d’autres œuvres au Japon utilisaient ces animaux puis si d’autres œuvres le faisaient à l’international avec une large préférence pour les films Universal et Hammer. Si j’avais le moindre doute sur un film, je me le procurais et le visionnais. De cette façon, il n’y avait aucun doute possible sur l’exactitude de l’information finale.
C’est une méthode qui a été utilisée pour les éléments relativement terre à terre, comme l’oiseau donc mais aussi pour retracer certaines origines, le fouet ou le léopard noir par exemple. Pour les théories sur des éléments plus complexes, on retrouve la même base mais on y ajoute de la réflexion. C’est difficile à expliquer, ça tient compte de certaines connaissances personnelles, d’analyses et d’un « bon sang de bon soir de nombre d’heures » à en établir qui ne menaient à rien, jusqu’à en obtenir des démontrables et donc fiables.
Un labeur très minutieux et de longue haleine en somme ! La sortie du Codex majeur a cependant été retardée de plusieurs mois (NDLR : prévu en décembre 2014, l’ouvrage est finalement paru en mars 2015), et des coquilles parfois grossières parsèment la lecture de la première édition. Peux-tu expliquer ces problèmes gênants pour un nouvel éditeur ? Le public de Côté Gamers lui en a-t-il tenu rigueur ?
Une sacrée histoire que ce retard ! En fait le livre était prêt à être envoyé à l’imprimeur et la date de sortie prévue allait être respectée jusqu’à ce qu’un petit incident vienne tout gâcher. J’ai eu un incendie électrique chez moi, tout simplement, et j’ai perdu de cette manière un grand nombre d’appareils, en rapport ou pas avec l’informatique. En ce qui concerne l’informatique, le PC et les disques durs contenant les données des livres furent perdus. Encore mieux, enfin, façon de parler : plus d’internet non plus et plus de téléphone (non seulement je déteste de mon côté les portables mais en plus les données de mes collaborateurs étaient dans le PC perdu). Impossible de joindre le fournisseur d’accès à internet, impossible de joindre les autres membres de Côté Gamers et surtout, plus de livre à envoyer à l’imprimeur. Ajoutons qu’il était donc impossible pour presque quiconque de me joindre et pour moi de donner des nouvelles aux lecteurs. Situation qui a duré 2 mois avec en plus au bout de l’aventure une inaccessibilité au net parce que le fournisseur faisait des travaux dans la région pendant un bon mois…
Heureusement, les notes de mon travail étaient conservées ailleurs et j’ai pu en récupérer une grosse partie. Par contre tout ce qui était du domaine de l’illustration, de la maquette était perdu aussi. Il a donc fallu tout refaire en quatrième vitesse. Nous en venons aux coquilles. Je dois t’avouer que forcément des acheteurs n’étaient pas contents du retard, surtout sans nouvelles de notre part. Il a fallu donc que je refasse l’intégralité du Codex majeur ET du HG-101 en 2 mois, ceci impliquant la maquette et les illustrations + le texte + la correction (qui était donc perdue puisque c’était le travail terminé prêt à être imprimé). Notre correcteur (texte et maquette) a fait de son mieux et dans un délai incroyable (une semaine pour chaque ouvrage), malheureusement, on s’en doute, des coquilles sont restées. J’en suis le premier déçu. Par contre au niveau des lecteurs, non personne ne nous a fait de reproches.
Quelle histoire ! J’imagine que tu sauvegardes toutes les données des ouvrages de Côté Gamers en plusieurs exemplaires désormais pour éviter de nouvelles déconvenues… Ce travail en urgence a-t-il affecté les produits finaux (en dehors des coquilles) ou as-tu réussi à reproduire exactement tout ce que tu avais fait à l’origine, que ce soit pour le Codex majeur ou le HG-101 ?
En réalité les données étaient déjà sauvegardées sur d’autres supports (des DD externes) mais ils ont eux-aussi été perdus… Il faudrait toujours sauvegarder aussi en cloud mais quand tu as des Go de données c’est assez contraignant.
Au niveau des versions finales, nous avons perdu quelques réponses des créateurs de Haunted Castle et de la version Amiga mais rien de vraiment très important. Par contre les textes sont forcément différents de ce qu’ils étaient en premier lieu même s’ils disent la même chose.
Parlons un peu du HG-101 si tu le veux bien : la version française n’est pas qu’une simple traduction de l’ouvrage d’origine car elle contient un bon nombre de pages supplémentaires ! Pourquoi avoir voulu retoucher un livre dont tu n’es pas l’auteur et comment as-tu réussi à convaincre Kurt de la pertinence de ta démarche ?
Il y a deux types de pages supplémentaires : celle qui sont dues aux images plus grandes et plus nombreuses et celles qui proviennent vraiment de l’ajout de contenu textuel. La deuxième catégorie est peu représentée, elle l’est au travers des pages Pachinko et Pachislots par exemple. La première par contre prend du volume. J’ai voulu améliorer la maquette originale assez tristounette et inclure bon nombre de nouvelles images. À mon sens il est important de conserver des traces de qualité de ce que montraient les jeux abordés. Pour l’accord de K. Kalata, je lui ai simplement demandé si c’était OK, il n’a émis aucune objection. Par contre attention ! Le respect des textes originaux est intégral ! Là aussi il était important de ne pas trahir le travail effectué.
Merci pour ces précisions. D’autres ouvrages consacrés à Castlevania sont-ils prévus chez Côté Gamers dans un avenir plus ou moins proche ? Doit-on par exemple s’attendre à d’autres Codex regroupant d’autres jeux, ou à des approches plus thématiques et/ou analytiques de certains épisodes ou de la licence en elle-même comme nous l’évoquions plus haut, que ce soit sous forme d’articles dans votre magazine ou compilées sous divers chapitres dans un livre ? Car il faut bien reconnaître que si tu as ouvert une autre voie dans la manière de traiter Castlevania avec le Codex majeur (laquelle a ses avantages et ses défauts), il y a maintenant assez de « bibles » de la série sur le marché (quelque soit leur exhaustivité ou pertinence en matière d’informations) pour contenter les fans… En d’autres termes, comptes-tu créer une collection de Codex, et/ou as-tu d’autres idées pour sortir des sentiers battus et rebattus dans la littérature de la licence ?
Selon moi il n’y aura assez de bibles sur tel ou tel jeu et sur telle ou telle série que lorsque les réponses à toutes les questions qu’on peut se poser sur leurs origines et leurs moyens de création seront définitivement établies. En d’autres termes, et en dehors des ouvrages qui se portent sur une analyse des structures d’un jeu ou d’une série, aucun n’est véritablement ultime. Et encore, les ouvrages d’analyses sont certainement eux-mêmes sujets à interprétations. Dans ce cas, nous sommes encore loin d’avoir ce fameux ouvrage ultime entre les mains. Il reste donc à mon sens de la place pour ce genre d’éditions. Maintenant va-t-on le faire chez Côté Gamers ? Un ouvrage sur toute la série à la façon de la Sancti Biblia ou du HG–101 non. Un Codex vol.2, c’est envisagé. On me le demande souvent pour les épisodes 16 bits. Le problème de ces épisodes, c’est qu’ils sont bien moins « intéressants » en matière d’anecdotes de création. La partie influence, serait beaucoup moins pertinente. En revanche, pour tout ce qui est sprites, décors, boîtes, etc, nous restons dans le domaine du « passionnant », selon moi. On me demande souvent également un ouvrage sur Symphony of the Night. Le jeu étant très vaste, c’est envisagé également mais sans doute plutôt dans la collection Fan Book. Encore une fois, le but de CG, c’est de documenter, si nous n’avons pas grand-chose à apporter nous ne traitons simplement pas du sujet. Je ne peux donc pas être catégorique sur l’état d’avancée des projets mais je peux confirmer que de mon côté je fais des recherches sur les autres épisodes de la licence. De ces recherches dépendront les ouvrages à venir. Dans le magazine, tout dépend également de ces informations. Il peut être plus intéressant de les rendre publiques dans un magazine si leur nombre et leur importance ne justifient pas un ouvrage complet, mais pour l’instant, clairement, nous n’avons pas cette idée en tête. Il y a tellement d’autres titres qui méritent qu’on s’y attarde. Enfin, pour ce qui est des idées pour sortir des sentiers battus, là oui, j’en ai mais tu comprendras que c’est ultra top secret, protégé CIA, FBI et même KGB !
Je voulais dire surtout dire que les fans ont eu droit à plusieurs bibles Castlevania en quelques années (sans compter le Codex majeur qui présente les choses différemment), et qu’il vaudrait peut-être mieux patienter un peu avant d’en publier une nouvelle pour éviter de saturer le public… Pour le reste, je te fais confiance ! Pour terminer cette interview, voudrais-tu me dévoiler ton/tes épisodes préféré(s) et me donner ton avis de fan sur l’évolution de la licence s’il te plaît ? Comment vois-tu l’avenir de la série ?
Pour mon épisode favori, dur dur ! Le premier est forcément culte mais le second possède un je ne sais quoi qui m’a toujours touché encore plus. As-tu déjà expérimenté le fait de ressentir une sorte d’odeur liée à un souvenir ? Une odeur « cérébrale », pas ressentie avec l’odorat donc ? C’est un phénomène qui se produit parfois sur certains souvenirs particulièrement sensibles, en générale agréables. Simon’s Quest me fait cet effet. Lorsque je l’ai découvert dans ma jeunesse, j’ai immédiatement été touché par son atmosphère, sa thématique et sa réalisation. Il reste aujourd’hui très particulier. Mais j’adore également l’épisode MSX2. En fait, je pense que les épisodes les plus « touchants » sont ceux qui étaient faits avec les moyens du bord, technologiquement parlant. Ils sont ceux qui possèdent le plus de charme à mes yeux parce qu’ils laissent une place à l’imaginaire qui dépasse celle laissée par d’autres épisodes ultérieurs. Ces épisodes plus tardifs développant plutôt l’univers. De plus l’influence extrême du cinéma se ressent et on obtient un mélange détonnant. Si je devais oser une comparaison, je dirais que les premiers épisodes sont à Castlevania, ce que les films de la Hammer ou d’Universal qui ont servi d’inspiration, sont au cinéma de genre. Précisons tout de même que j’apprécie énormément l’ensemble de la saga, à l’exception du dernier Lords of Shadow qui est une grande déception.
J’ai partiellement répondu à ta question sur l’évolution de la série. Selon moi il y a une rupture nette entre les épisodes primordiaux et les épisodes suivants puis avec Lords of Shadow (normal pour ce dernier me dira-t-on). Nous sommes progressivement passés de jeux se focalisant sur le gameplay à des titres laissant une grande place à la constitution d’un univers global. Parfois avec brio (SotN), parfois avec quelques tracas (les épisodes N64 ou PS2), parfois avec de graves problèmes (LoS). Chaque série d’épisodes revêt des caractéristiques propres à son époque. On pourrait dire que le dernier LoS est donc symptomatique d’une époque où le JV est souvent décevant et ou à l’opposé les premier titres étaient d’une grande difficulté, très injustes, sans véritable cohérence scénaristique. Je ne suis pas pour les reboots, mais il faut avouer que nous avons sans doute fait le tour de ce que nous pouvions faire avec la série. Peut-être aura-t-on des surprises dans un avenir plus ou moins proche mais au vu des évènements récents avec Konami, j’ai bien peur que nous devions dire adieux à la saga Castlevania.
C’est un peu ma crainte également… Un dernier mot pour les lecteurs du site ?
Ouep, j’ai un dernier mot ! Lorsqu’on voit tout ce qui se cache derrière un jeu comme le premier Castlevania (entre autres), on se rend compte à quel point on peut passer à côté d’anecdotes passionnantes sur nos jeux préférés. De mon point de vue, ce constat doit nous faire également prendre conscience de l’étendue de tout ce qu’il nous reste à découvrir dans la passion qui nous anime. Mon petit mot final serait donc : découvrez ! Dépassez les frontières de la simple nostalgie et essayez donc les milliers de jeux qui méritent le détour mais qui sont pourtant délaissés. Il y a tant de « merveilles » à découvrir.
Merci encore à toi de t’être prêté au jeu de l’interview, tes longues réponses reflètent bien la passion qui t’anime ! Je souhaite beaucoup de courage et de succès à Côté Gamers, à bientôt pour un nouvel ouvrage sur Castlevania !